Jean-François Dugas| 15 juillet 2022, Le Droit
À constater toutes ses réalisations, on se croirait en pleine lecture d’un générique d’un film de Star Wars. Peut-être même deux. Et comme la «Force», elle se trouve partout. Ethel Côté travaille depuis 40 ans dans le domaine de l’économie sociale. La liste de ses projets auxquels elle a participé – plus de 900 – impressionne. Elle ne possède peut-être pas la renommée internationale du sprinter d’Oakville Donovan Bailey ou encore de l’actrice ottavienne Sandra Oh. Comme eux toutefois, elle fut récemment décorée de l’Ordre du Canada, dans son cas, pour l’ensemble de son œuvre dans l’Ontario français.
«Quand on m’a appelée, j’ai été très honorée, mais j’ai d’abord eu une surprise parce que je ne savais pas que ça se passait. C’est un processus de deux ans où l’on consulte au moins 25 personnes dans la communauté quant à ton profil. En tout cas, c’était un secret bien gardé, car personne ne m’en a parlé», lance-t-elle d’emblée.
Mme Côté dit avoir tenté de tirer les vers du nez de son interlocuteur du bureau du gouverneur général pour connaître l’identité de l’individu à l’origine de sa candidature pour le remercier, mais en vain.
«Ils gardent cela secret. Ensuite, ce fut le raz-de-marée de messages par ma communauté», affirme-t-elle, tout en saluant ses nombreux collaborateurs.
«C’est l’une des plus grandes reconnaissances au Canada sans doute. Ce qui est vraiment intéressant, c’est que ce n’est pas un comité quelque part qui décide. Ils prennent le temps d’aller vérifier avec tes pairs. Pour moi, ça apporte une tout autre profondeur à ce prix-là. Donc, honorée, touchée, surprise, mais en même temps très contente que ça mette en lumière l’économie sociale en Ontario.»
Économie méconnue
Cette économie est quelque peu méconnue par le grand public, avoue-t-elle. On reconnaît aisément l’économie privée, comme les entreprises et les commerces, ainsi que publique qui relève des paliers gouvernementaux. L’économie sociale mise plutôt sur l’effort collectif pour en arriver à un objectif commun.
«On y retrouve autant les organismes à but non lucratif qui crée des emplois, de la richesse dans la communauté et qui offre des services plus abordables jusqu’aux coopératives, aux fondations, les mutuelles. Donc, il s’agit de toutes ces pratiques collectives qui parfois sont beaucoup plus sociales qu’économiques», explique Mme Côté.
«C’est vraiment cela l’économie sociale, poursuit-elle. C’est une économie qu’on dit souvent à l’échelle humaine. C’est dans un quartier, une ville, une région. C’est porté par du monde et ça change la vie du monde parce que les gens s’associent pour un besoin commun et ilsferont vraiment tout pour réaliser ce rêve-là. Au bout du compte, au lieu de penser qu’une personne s’enrichit, bien c’est de l’enrichissement collectif.»
À cet effet, la «Jedi» originaire de Plantagenet, dans l’Est ontarien, a largement contribué à la cause.
«J’ai appuyé un plus de 900 projets un peu partout en Ontario français. Environ 85% de mon travail a eu lieu là», soutient la fière Franco-Ontarienne.
Bien qu’il est difficile de choisir ses coups de cœur, Mme Côté garde une place spéciale pour deux initiatives dans la Basse-Ville: La Nouvelle Scène le Centre espoir Sophie.
Pour la première, Mme Côté a investi près de six ans de sa vie, d’abord à titre de fondatrice du centre de théâtre francophone. Elle en est aussi devenue sa première présidente. Dans le cas du Centre espoir Sophie, elle est fière d’avoir élargi la portée du lieu pour venir en aide à un plus grand nombre de femmes vulnérables.
«C’est difficile d’en nommer juste deux…»
L’étincelle
L’intérêt pour le domaine de l’économie sociale s’est développé à un jeune âge chez Ethel Côté. Outre son adhésion à une caisse populaire à 13 ans, c’est à la fin du secondaire que ce monde s’ouvre à elle, un peu par la force des choses.
Enceinte à 18 ans, elle doit abandonner l’école. Les réalités de la vie l’ont rattrapée rapidement.
«Tu n’as pas beaucoup de moyens quand tu ne poursuis pas tes études et peu d’opportunités d’emplois. C’est ainsi que j’ai découvert l’économie sociale. À un moment donné, tu te retrouves vraiment vulnérable, avec peu d’argent tout en voulant développer ton autonomie […] Éventuellement, je me suis collé à l’équipe du développement communautaire du Collège Algonquin, des francophones.»
C’est dans cette sphère d’activités qu’elle croise des Franco-Ontariens engagés. Elle y côtoie notamment les Raymond Durocher, Jacqueline Pelletier et Philippe Landry de ce monde, qui ont tous milité à leur façon pour le fait français.
«J’étais entourée de gens qui changeaient notre monde, qui luttaient tous les jours pour une francophonie forte. J’ai vraiment rencontré du monde qui portait la solidarité et qui croyait dans leur force collective.»
C’est aussi dans ce contexte qu’elle participe à la création d’un événement, le Festival de la fête d’automne, qui a été le précurseur du Festival franco-ontarien.
Une suite normale
Vient alors un retour aux études et éventuellement un emploi en développement économique et communautaire avec le Collège Algonquin.
«J’aidais d’autres femmes à retourner sur le marché du travail pendant que moi aussi j’y retournais. Ensuite, ce fut un véritable crescendo où je me suis investie dans plusieurs organisations jusqu’à 30 ans où j’ai créé ma propre entreprise en événementiel. J’ai vraiment eu plusieurs jobs dans le mouvement associatif.»
Au fil des ans, la touche-à-tout s’engage dans la gestion, la planification, le développement organisationnel, l’animation, les communications et les ressources humaines. Elle s’affaire à mettre en place des partenariats, accompagne des organismes dans des projets, participe à la consolidation ou du redressement d’entreprises. D’ailleurs, c’est grâce à elle que le Conseil de la coopération de l’Ontario, qui soutient les coopératives en province, sort de son état dormant et se réactive en 1994. Mme Côté transmet également ses savoirs à titre de professeur, notamment à l’Université de l’Ontario français. Elle regroupe ainsi toutes ces compétences pour créer son entreprise citoyenne en innovation sociale, nommée MécènESS où elle continue «le travail sur le terrain».
Et maintenant?
Mme Côté ne semble pas ralentir. Elle a encore des projets plein la tête.
À titre d’exemple, elle espère investir plus de temps dans sa plateforme virtuelle qu’elle a dû ranger de côté, faute de la pandémie. Elle veut y partager – gratuitement – des formations, des capsules et tout son bagage recueilli au cours de sa carrière.
«Pour moi, c’est important le renforcement des capacités et le partage des savoirs en francophonie.»
Elle a d’autres ambitions aussi. Elle rêve notamment d’écrire un livre.
«Un autre rêve que j’ai est de continuer à influencer les investisseurs privés à s’éveiller à cette force économique qu’est l’économie sociale, de voir cela comme une place à investir.»
— Et la retraite?
«Je ne sais pas quand je vais prendre ma retraite pour vrai. Mais je sais qu’il y a beaucoup de choses à accomplir encore.»